03/06/2007
Les mères
Extrait de "La part manquante" de Christian BOBIN
« Le couple finit avec l’enfant premier venu. Le couple des amants, la légende du cœur unique. Avec l’enfant commence la solitude des jeunes femmes. Elles seules connaissent ses besoins. Elles seules savent le prendre au secret de leurs bras. La pensée éternelle les incline vers l’enfant, sans relâche. Elles veillent aux soins du corps et à ceux de la parole. Elles prennent soin de son corps comme la nature a soin de Dieu, comme le silence entoure la neige . Il y a la nourriture, il y a l’école. Il y a les squares, les courses à faire et les légumes à cuire. Et que, de tout cela, personne ne vous sache gré, jamais. Les jeunes mères ont affaire avec l’invisible. C’est parce qu’elles ont affaire avec l’invisible que les jeunes mères deviennent invisibles, bonnes à tout, bonnes à rien. L’homme ignore ce qui se passe. C’est même sa fonction, à l’homme, de ne rien voir de l’invisible. Ceux parmi les hommes qui voient quand même, ils en deviennent un peu étranges. Mystiques, poètes ou bien rien. Etranges. Déchus de leur condition. Ils deviennent comme des femmes : voués à l’amour infini. Solitaires dans les fêtes auxquelles ils président. Tourmentés dans la joie bien plus que dans la peine. Ce qui pour les hommes est un accident, un ratage merveilleux, pour les femmes est l’ordinaire des jours très ordinaires. Elles poursuivent l’éducation du prince. Elles s’offrent en pâture à l’enfant, à ses blanches dents de lait, coupantes, brillantes. Quand l’enfant part, il ne laisse rien d’elles. »
16:27 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.