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27/02/2008

Martha

"Martha, ou le mensonge du mouvement" de Claude Pujade-Renaud...à propos de Martha Graham

"Ce paradoxe, merveille et cauchemar certes : travailler son corps dans ce qu'il détient de plus intime jusqu'à le rendre quasi étranger et le traiter tel un instrument extérieur. Pénétrer toujours plus avant dans l'intériorité -écouter les pulsations du sang, du sexe, du souffle, parvenir même à percevoir les rythmes viscéraux, végétatifs, s'immerger dans ce murmure et ce grouillement incessants- et tout en même temps jaillir au-delà des frontières officielles du corps, le disloquer, l'annuler. Danser tentait de résoudre la contradiction de ce double mouvement."

"Affronter avec étonnement, inquiétude, sans la protection des montages et savoirs tout faits, cette existence corporelle brute, incongrue. Faire percevoir qu'elle n'est nullement évidente, creuser l'écart entre soi et son corps pour mieux le combler ensuite -rien que les battements du coeur, quelle angoisse! Et la main, cet animal étrange, et la marche...Accepter la vulnérabilité, la laisser voir."

"Jusqu'au jour -on ne sait trop comment c'est venu...du fait d'un labeur obscur en ce lieu nommé le corps et qui ne se réduit pas à lui- oui un beau jour des noeuds intérieurs semblent avoir été défaits par des mains habiles, de minuscules mains démêlant les fibres nerveuses et connectant entre elles des synapses toutes neuves si bien que l'influx circule avec fluidité et soudain, tel un printemps qui vous bourgeonnerait à l'extrémité des orteils, une légèreté inattendue vous est donnée, vous sentez les muscles travailler les os, la chair inutile se dissoudre...On est désenglué de soi-même, et pourtant c'est bien soi, une part de soi ignorée, qui prétend à l'existence. L'espace s'ouvre à vous, presque liquide, on peut s'y ébrouer comme dans les vagues de l'océan proche, voici que l'on entre dans la danse, quelques secondes du moins, on peut s'imaginer avoir fait alliance avec le rythme mouvant des branches, et l'on découvre cette sécurité de l'enracinement dans le sol qui permet de décoller et de s'envoler..."

Pourrait-on vivre sa vie comme une danse ?!

Le photographe travaille le Regard -qui n'est pas seulement un oeil et un cerveau. Regard qu'il tente de relier à son Etre profond, et d'ouvrir à l'Invisible. Il arrive que le photographe VOIT. Il arrive que ses images DONNENT A VOIR -Instants magiques.

La vie comme un processus créateur. Créateur de Soi. D'un Soi relié -dedans dehors. Processus créateur d'humanité.  

20:54 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

06/01/2008

L'autre visage

Extrait de "L'Autre Visage" de Christian BOBIN 

Chez nous pas de montre ni d'horloge.

Le temps qui passe a la beauté pour unique preuve -la beauté ou la douleur, tant il est vrai que nous n'avons jamais su démêler l'une de l'autre, tant il est vrai que beauté et douleur sont dans nos âmes comme les deux aiguilles de vos montres quand elles se superposent.

Le temps chez nous est comme de l'eau. L'éternité chez nous est comme de l'eau. Le coeur chez nous est comme de l'eau. Le temps, le coeur et l'éternel mélangent leurs eaux partout dans le monde comme beauté, dans le monde comme douleur.

Vous avez d'abord cru que l'éternel était un miroir. Vous avez longtemps cherché à vous y reconnaître, en vain. Vous avez accusé le miroir, vous lui avez jeté une pierre, puis deux, puis trois, jusqu'à ce qu'il se brise en mille morceaux -mille secondes, mille minutes, mille heures.

Votre coeur était comme le miroir. Maintenant il est comme vos montres. Il ne chante plus la lumière. Il compte les ombres.

Vous êtes pressés. Vous êtes essoufflés. Vous vous agitez dans ce que vous faites comme le dormeur au fond du lit.

Chez vous le temps s'entasse -et puis se fane.

Chez nous le temps se perd -et puis fleurit.

Attendre, c'est ce que nous savons faire de mieux, l'art suprème auquel tous ici s'exercent, enfants comme vieillards, hommes comme femmes, pierres comme plantes.

Caravane de l'attente avec ses deux chameaux, solitude et silence.

Fier navire de l'attente avec ses deux grandes voiles, solitude et silence.

Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. Il ne commande pas à son attente. Il bouge au gré du vent, docile à ce qui s'approche, souriant à ce qui s'éloigne.

Celui qui attend, nous l'appellons le "tout comblé" -car dans l'attente le commencement est comme la fin, la fleur est comme le fruit, le temps comme l'éternel.

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21:45 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1)